Ma tribune dans le JDD.FR ou ci-dessous.
Drogues dures ou douces, récréatives ou non, elles restent des drogues. Voilà une évidence devenue un angle mort du débat sur la consommation de cannabis, débat pollué par un relativisme qui fait fi des enjeux sociosanitaires. Ce relativisme, c’est par exemple celui qui consiste à dénoncer la consommation d’alcool pour normaliser celle du cannabis ou à dévoyer le débat sur son usage thérapeutique. Sur ce dernier point, il n’y a d’ailleurs rien à remettre en question. Bien employé, le cannabis thérapeutique se révèle utile (soin palliatif, scléroses, maladies neuropathiques etc.). L’expérimentation thérapeutique doit d’ailleurs se poursuivre dans un cadre qui puisse pallier aux effets indésirables.
Néanmoins une dédiabolisation du cannabis suit son court. Concernant l’alcool, très peu des Français sont insensibilisés aux dégâts qu’il cause alors même que la boisson bénéficie d’un ancrage culturel fort en France. D’ailleurs, une bataille sanitaire vigoureuse est menée avec des moyens en constante augmentation depuis le début des années 2000 sans compter sur un demi-siècle de durcissement de la législation. La consommation d’alcool a décru depuis les années 1960. Il faut évidemment en faire plus, notamment auprès des plus jeunes.
Le cannabis à usage courant, lui, originellement moins ancré dans nos us et coutumes, s’est installé dans le quotidien de nos compatriotes. Sa consommation a explosé ces 20 dernières sans qu’elle ne fasse l’objet d’inquiétudes similaires. En 2021, la moitié de la population adulte âgée de 18 à 64 ans déclare avoir déjà consommé du cannabis au cours de sa vie.
Cette situation résulte de nombreux facteurs. En premier lieu, un basculement culturel s’est opéré : le terme « récréatif » pour désigner la consommation, s’est rependu, non pas en opposition à l’usage médicinal (qui sert de couverture à « la fumette ») mais bien souvent pour relativiser les effets de cette drogue.
Le cannabis évolue désormais à visage découvert, dans les amphithéâtres étudiants, dans la rue, dans les médias et sur les réseaux sociaux : vente par messagerie, promotion indirecte de certains artistes de la chanson ou plus grave encore, apparition de vidéos populaires sur Internet, vues des millions de fois où des personnalités plaisantent sur leur consommation en remplaçant le mot « cannabis » par « sandwich ». La culture populaire véhicule un message à rebours des préconisations sanitaires et du cadre légal en vigueur.
L’imaginaire collectif autour de ce produit a évolué. Ainsi, dès 2015, l’OFDT (Observatoire français des drogues et tendances addictives) mettait en lumière que « l’herbe est souvent perçue comme un produit « naturel », ce qui a pu favoriser le développement de sa consommation. » L’arrivée du cannabidiol (CBD) a également eu cet effet d’insouciance devenant un tremplin vers la consommation de cannabis classique, qui à son tour est un tremplin vers les drogues dites « plus dures ».
Au fil du temps, nous avons oublié les conséquences désastreuses du cannabis pour la santé des individus et leur coût pour la société : effets sur le fœtus avec un poids à la naissance du nourrisson plus faible par exemple, troubles du neurodéveloppement, impact sur la réussite scolaire, explosion du risque de maladies cardiovasculaires, de cancers… Inutile de revenir sur les impacts en matière de délinquance. L’actualité l’a encore montré récemment avec cette jeune femme victime d’une balle perdue à Marseille.
À l’aube de l’examen du budget de la sécurité sociale, rappelons que le coût social de la consommation de drogue illicite s’élève à 7,7 milliards d’euros en 2019 selon l’OFDT. C’est certes, moindre que l’alcool, mais comment continuer à amplifier, à juste titre, une bataille pour l’un, tout en lâchant du lest vis-à-vis de l’autre ?
Faire évoluer le cadre légal d’un tel usage c’est ouvrir la boîte de pandore : le retour d’expérience des Pays-Bas ou de l’Espagne (pour ne citer qu’eux) l’a prouvé avec une explosion de la consommation, particulièrement chez les jeunes. À l’heure actuelle, aucune donnée ne permet d’affirmer qu’on diminuerait l’usage et la criminalité !
Dédiaboliser, c’est continuer d’exposer les Français les plus enclins à consommer à leurs démons, à la dépendance, celle qui crée les conditions d’une perte de chance pour des nombreux jeunes plus fragiles et plus exposés.
C’est précisément parce que nous avons plus de recul sur l’impact de l’alcool, un produit patrimonial solidement ancré dans notre culture et notre économie, que nous devons anticiper et être encore plus fermes vis-à-vis du développement de nouveaux produits addictifs et nocifs dont notre économie ne dépend pas.